Читать онлайн «Le Planetarium»

Автор Натали Саррот

Nathalie Sarraute

Le planétarium

Gallimard

Non vraiment, on aurait beau chercher, on ne pourrait rien trouver à redire, c'est parfait... une vraie surprise, une chance... une harmonie exquise, ce rideau de velours, un velours très épais, du velours de laine de première . qualité, d'un vert profond, sobre et discret... et d'un ton chaud, en même temps, lumineux... Une merveille contre ce mur beige aux reflets dorés... Et ce mur... Quelle réussite. On dirait une peau... Il a la douceur d'une peau de chamois...

Il faut toujours exiger ce pochage extrêmement fin, les grains minuscules font comme un duvet...

Mais quel danger, quelle folie de choisir sur des

échantillons, dire qu'il s'en est fallu d'un cheveu— et comme c'est délicieux maintenant d'y repenser — qu'elle ne prenne le vert amande. Ou pire que ça, l'autre, qui tirait sur l'émeraude... Ce serait du joli, ce vert bleuté sur ce mur beige... C'est curieux comme celui-ci, vu sur un petit morceau, paraissait éteint, fané... Que d'inquiétudes, d'hésitations... Et maintenant c'est évident, c'était juste ce qu'il fallait... Pas fané le moins du monde, il fait presque éclatant, chatoyant contre ce mur...

exactement pareil à ce qu'elle avait imaginé la première fois... Cette illumination qu'elle avait eue... après tous ces efforts, ces recherches — c'était une vraie obsession, elle ne pensait qu'à cela quand elle regardait n'importe quoi — et là, devant ce blé vert qui brillait et ondoyait au soleil sous le petit vent frais, devant cette meule de paille, ça lui était venu tout d'un coup...

c'était cela — dans des teintes un peu différentes — mais c'était bien là l'idée... exactement ce qu'il fallait... le rideau en velours vert et le mur d'un or comme celui de la meule, mais plus étouffé, tirant un peu sur le beige... maintenant cet éclat, ce chatoiement, cette luminosité, cette exquise fraîcheur, c'est

de là qu'ils viennent aussi, de cette meule et de ce champ, elle a réussi à leur dérober cela, à le capter, plantée là devant eux sur la route à les regarder, et elle l'a rapporté ici, dans son petit nid, c'est à elle maintenant, cela lui appartient, elle s'y caresse, s'y blottit... Elle est faite ainsi, elle le sait, qu'elle ne peut

regarder avec attention, avec amour que ce qu'elle

pourrait s'approprier, que ce qu'elle pourrait posséder... C'est comme la porte... chaque chose en son temps... elle y vient, elle n'a pas besoin de se presser, c'est si délectable de ressasser — maintenant que tout a si bien réussi, que tous les obstacles ont été franchis — de reprendre toutes les choses une à

une, lentement... cette porte... pendant que les autres admiraient les vitraux, les colonnes, les arches, les tombeaux — rien ne l'ennuie comme les cathédrales, les statues... glacées, impersonnelles, distantes... pas grand-chose à glaner là dedans, ni même dans les vitraux presque toujours dans des tons trop vifs, trop bariolés... pour les tableaux, passe encore, bien

que les harmonies de couleurs y soient le plus souvent bizarres, déconcertantes, même franchement laides, choquantes... mais enfin, on peut trouver encore par- fois des idées, comme ces tons vert puce et violet des robes des femmes agenouillées au pied de la Croix, ça avait fait rudement bien, encore qu'il soit nécessaire d'y regarder à deux fois, d'être très prudent,