Pierre Souvestre et Marcel Allain
Le Cadavre géant
FANTÔMAS 27
(1913 – Arthème Fayard)
BOUQUINS – ROBERT LAFFONT
Chapitre I
La menace de Fantômas
Que s’était-il donc passé ?
La reine, à l’instant où elle entrait dans le salon orange, où sans doute un drame incompréhensible venait de se dérouler, apercevait brusquement Fandor écroulé dans un fauteuil, sanglotant, accablé, l’air égaré, et Juve debout au milieu de la pièce, tournant machinalement entre ses mains un masque noir, une cagoule, cependant qu’il répétait, d’une voix brisée par l’angoisse :
— Ah ! Fantômas… Fantômas… rien ne te désarmera donc, rien… pas même l’amour ?
La reine embrassait d’un coup d’œil l’attitude accablée des deux hommes.
Elle frissonnait et, joignant les mains, demandait alors d’une voix altérée :
— Mon Dieu ! qu’avez-vous ? Pourquoi ce masque, Juve ?…
Mais Juve ne lui laissait pas le temps d’achever.
— Votre Majesté, murmurait-il, devine la sinistre vérité, Fantômas vient d’oser un rapt effroyable… Hélène a été enlevée par lui, et… Fandor et moi nous sommes bien malheureux !
Juve avait-il raison ?
Était-il réellement admissible que le sinistre Génie du crime, que l’effroyable Maître de l’épouvante eût osé à l’instant même où l’habileté de Juve et de Fandor lui imposait une terrible défaite, tenter cette audacieuse revanche, d’enlever Hélène, d’arracher la jeune femme à l’affection de Juve, à l’amour du journaliste ?
Le Maître de l’effroi, à la vérité, était bien homme à ne reculer devant rien. Et c’était bien lui, en effet, qui s’était emparé de la jeune femme, répondant par cette sorte de défi à la victoire qui récompensait les efforts de Juve et de Fandor, à l’instant où, grâce à eux, la reine de Hollande remontait sur son trône et se trouvait à l’abri de toute révolution politique.
Fantômas, toutefois, n’avait peut-être pas pu réussir facilement l’entreprise téméraire qu’il avait ainsi décidée. Peut-être bien n’était-il pas loin encore.
Peut-être était-il exposé à la poursuite des deux amis qui, hélas ! ne songeaient guère à le poursuivre…Car c’était un fait.
Juve et Fandor qui, tant de fois, avaient donné des preuves de leur effarante audace, de leur merveilleux courage, de leur ténacité aussi, Juve et Fandor, accablés par le nouveau malheur qui les frappait, demeuraient immobiles, anéantis, prostrés, n’osant plus un mouvement, ne risquant plus une parole.
Que faire ?
Certes, bien souvent, dans sa vie, Fandor avait frémi en imaginant l’implacable silhouette du Roi de l’épouvante. Jamais cependant peut-être il n’avait aussi bien compris qu’en cette minute la terrifiante et réelle autorité de ce Roi du meurtre et du crime, qui bravait les royautés terrestres, et, au cœur même d’un palais, à deux pas de la reine Wilhemine, osait enlever une femme, la femme de Fandor, celle qui passait pour sa fille…
Mais comment Fantômas avait-il opéré ?
Juve et Fandor avaient à peine abandonné quelques instants le salon orange pour accompagner dans la salle du trône la reine Wilhemine.