Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski
Humiliés Et Offensés
Traduction par Sylvie Luneau
(1861)
INDEX DES PERSONNAGES
ALEXANDRA SÉMIONOVNA, compagne de Philippe Philippytch Masloboïev.
ALEXEÏ PETROVITCH,
ANNA ANDRÉIEVNA, née Choumilova, femme de Nikolaï Serguéitch Ikhméniev.
BOUBNOVA (Anna Triphonovna), propriétaire de la maison habitée par Elena et sa mère. Se livre au proxénétisme.
ELENA,
IKHMÉNIEV (Nikolaï Serguéitch), propriétaire foncier, ancien intendant du prince Piotr Alexandrovitch Valkovski.
IVAN PETROVITCH,
KATERINA FIODOROVNA,
MASLOBOÏEV (Philippe Philippytch), ancien camarade de collège d’Ivan Petrovitch. Vit d’expédients.
NATHALIA NIKOLAÏEVNA,
NIKOLAÏ SERGUÉITCH, voir IKHMÉNIEV.
PIOTR ALEXANDROVITCH, voir VALKOVSKI.
SMITH, ancien industriel d’origine anglaise, tombé dans la misère.
VALKOVSKI (le prince Piotr Alexandrovitch), grand propriétaire foncier. Amant de la comtesse Zénaïda Fiodorovna.
VANIA, voir Ivan PETROVITCH.
ZÉNAÏDA FIODOROVNA (la comtesse), belle-mère de Katerina Fiodorovna.
PREMIÈRE PARTIE
I
L’an dernier, le 22 mars au soir, il m’arriva une aventure des plus étranges. Tout le jour, j’avais parcouru la ville à la recherche d’un appartement. L’ancien était très humide et à cette époque déjà j’avais une mauvaise toux. Je voulais déménager dès l’automne, mais j’avais traîné jusqu’au printemps. De toute la journée, je n’avais rien pu trouver de convenable. Premièrement, je voulais un appartement indépendant, non sous-loué; et, deuxièmement, je me serais contenté d’une chambre, mais il fallait absolument qu’elle fût grande, et bien entendu en même temps le meilleur marché possible. J’ai remarqué que dans un appartement exigu les pensées même se trouvent à l’étroit. En méditant mes futures nouvelles, j’ai toujours aimé à aller et venir dans ma chambre. À propos: il m’a toujours été plus agréable de réfléchir à mes œuvres et de rêver à la façon dont je les composerais que de les écrire et vraiment, ce n’est pas par paresse. D’où cela vient-il donc?
Le matin déjà, je n’étais pas dans mon assiette et vers le coucher du soleil je commençai même à me sentir très mal; je fus pris d’une sorte de fièvre. De plus, j’étais resté sur mes jambes toute la journée et j’étais fatigué. Sur le soir, juste avant le crépuscule, je passai par l’avenue de l’Ascension. J’aime le soleil de mars à Pétersbourg, surtout le coucher du soleil, quand la journée est froide et claire, bien sûr. Toute la rue est brusquement éclairée, inondée d’une lumière éclatante. Toutes les maisons semblent se mettre à étinceler soudainement. Leurs teintes grises, jaunes, vert sale, perdent en un clin d’œil leur aspect rébarbatif; c’est comme si l’âme s’illuminait, comme si l’on était saisi d’un frisson, ou si quelqu’un vous poussait du coude. Un regard nouveau, de nouvelles pensées… C’est étonnant ce que peut faire un rayon de soleil dans l’âme d’un homme!