J. M. G. LE CLÉZIO
Printemps et autres saisons
J. M. G. Le Clézio est né à Nice le 13 avril 1940 ; il est originaire d’une famille de Bretagne émigrée à l’Île Maurice au XVIIIe siècle. Il a poursuivi des études au Collège littéraire universitaire de Nice et est docteur ès lettres.
Malgré de nombreux voyages, J. M. G. Le Clézio n’a jamais cessé d’écrire depuis l’âge de sept ou huit ans : poèmes, contes, récits, nouvelles, dont aucun n’avait été publié avant
Ça me fait quelque chose quand les jours s’allongent, que la lumière grandit et que le soleil se couche de plus en plus à l’ouest, au-dessus des collines, comme s’il allait faire le tour complet de l’horizon. Il y a du pollen dans l’air, des moucherons, beaucoup de choses minuscules qui tourbillonnent. J’ai l’impression que tout bouge et danse partout, dans le genre d’un tressaillement.
C’est la première fois que je sens cela.
Il me semble que jusqu’à maintenant, ça ne m’était jamais arrivé. Pourtant j’étais contente à l’arrivée du printemps, mais je ne voyais pas les choses bouger. C’était comme cela, autrefois, à Nightingale. Ensuite, quand nous sommes venus en France, je n’avais pas besoin de m’arrêter pour voir danser le pollen et les moucherons, pour compter les étincelles de la mer. Je ne m’occupais plus des saisons.C’était peut-être à cause de l’endroit où j’habitais, cette vieille maison silencieuse sur la colline des Baumettes, au-dessus du nuage laiteux de la ville. Elle s’appelait la Roseraie, mais on aurait mieux fait de l’appeler la maison aux acanthes, parce qu’elles avaient envahi tout le jardin. En tout cas, c’est ce que disait le Colonel.
Il y avait des terrasses abritées, de hautes fenêtres avec des volets gris perle, des tapis, des portes vitrées. Je n’avais jamais fait attention au luxe, parce que je vivais dans cette maison protégée comme dans un château. Je me souviens, quand nous sommes arrivés dans cette ville, après Nightingale, le Colonel m’avait emmenée en bas, dans les vieux quartiers autour du port. J’avais onze ans, et je n’avais jamais encore vu cela. J’avais très peur, enfin, ce n’était peut-être pas exactement de la peur, plutôt une sorte d’horreur, un sentiment de répulsion pour tout ce que je voyais dans cette ville basse, les ruelles étroites, sales, le linge suspendu entre les immeubles, les façades lépreuses, les portes qui ouvraient sur des escaliers noirs qui soufflaient une odeur froide de cave. Et les gens, surtout, tous ces gens qui marchaient, si nombreux, cette foule serrée, ces visages, ces regards, ces bruits de voix et ces cris, ces mains qui vous touchaient, qui vous frappaient. Ces gens étaient venus d’un autre monde, ils étaient si pauvres, ils semblaient surgir du fond des caves humides comme des grottes, leurs visages étaient tachés d’ombre.